Hervé Bel anime dans nos colonnes le rendez-vous (presque) hebdomadaire des Ensablés. Mais il arrive aussi que notre ami écrivain se plonge dans les ouvrages de ses contemporains. Voici sa lecture du dernier ouvrage d’Armel Job, Le Passager d’amercoeur.
Il y a des rendez-vous qui ne se manquent pas. J’attendais qu’il paraisse ; presque chaque année il arrive, tout frais, perspective d’un plaisir jamais déçu… et mon attente ne l’a pas été : le nouveau roman d’Armel Job vient de paraître chez Robert Laffont, le 21e très exactement Le passager d’Amercoeur.
Mais d’abord quelques mots sur Armel Job, écrivain belge dont toutes les histoires, ou presque toutes, se passent dans les Ardennes. La presse n’en parle pas assez à mon goût. Encore que… En 2023, Le Monde des livres lui a consacré un portrait sur une pleine plage. Il semble donc que Paris consent enfin à mettre en valeur cet homme érudit (professeur de latin-grec) pour qui la littérature est une passion dévorante. Il est l’origine du prix Horizon récompensant tous les deux ans un auteur d’un deuxième roman qui est toujours un passage difficile pour qui écrit. Un premier roman, après tout, est assez facile. Se renouveler l’est moins. Le lauréat est désigné par des milliers de lecteurs qui se déplacent dans la charmante ville de Marche-en-Famenne : travail de préparation gigantesque, réalisé par des dizaines de bénévoles sous la houlette d’Armel Job.
Il était temps qu’on parle de lui.
Loin des thèmes mille fois rebattus, les romans d’Armel Job explorent la société contemporaine sous des angles individuels, jamais spectaculaires ou provocants. Les héros sont des gens comme vous et moi, de tous les milieux, à qui arrive soudain un événement qui bouleverse leur existence, remue leur passé, et touche leur entourage. Il peut s’agit d’un fait divers, un meurtre dont ils sont témoins ou acteurs, et le roman prend alors un aspect policier, secondaire au demeurant, car ce qui intéresse Armel Job, c’est l’homme lui-même, avec ses pensées et sa vie qui l’ont conduit à l’irréparable (Le meurtre du docteur Vanloo, 2023). D’autres fois, comme dans un Un père à soi (2022), une révélation qui conduit à l’exploration d’un être : un jour, une jeune fille se présente devant le héros et lui apprend qu’il est son père. Or cet homme a une famille, est marié depuis longtemps, et n’a jamais soupçonné sa paternité.
Un des aspects récurrents de ces textes est cette idée que n’importe qui est un mystère, que ce qui apparaît d’eux n’est jamais ou presque jamais la vérité. Le fait générateur du roman agit comme un révélateur, dévoile l’incommensurable profondeur de tout être. Armel Job y parvient, avec un style simple, limpide. Il alterne réflexions (jamais lourdes), actions (ne vous attendez pas à James Bond), description de la vie quotidienne (par des petits détails qui frappent par leur justesse), et passages d’humour noir. Enfin, point capital, l’émotion est souvent suscitée par des ellipses. Pas de larmoiements, mais suggestion.
Faut-il encore s’en étonner, son dernier roman Le passager d’Amercœur (du nom d’un quartier de Liège, qui n’a peut-être pas été choisi par hasard, Amercœur : cœur amer?) est une réussite.
Le héros de l’histoire s’appelle Momo, alias Maurice que le narrateur a bien connu. « Momo, deux syllabes qui fondaient entre la langue comme une bouchée de chocolat Côte d’Or. »Il est populaire dans la région de Liège. Quand il était jeune, il a été un très bon footballeur amateur d’où sa renommée. Depuis, il a ouvert un magasin de chaussures Le pied levé qui marche bien. Il vit dans une vaste maison qui surplombe la région, qu’enfant il rêvait déjà d’acquérir. Marié avec Grace, il est resté très attaché à sa mère adoptive Céleste avec qui, chaque vendredi, le midi, il déjeune au restaurant.
Et voilà qu’un jour, en 1988, Grace est retrouvée morte en bas de la montagne. La police conclut hâtivement au suicide. Momo paraît sincèrement bouleversé, il a un alibi en béton. Elle aurait ainsi enjambé le parapet de la terrasse et se serait jetée dans le vide. C’est un professeur d’archéologie, Monsieur Dumont, qui a découvert le cadavre; puis, quelques jours après, alors qu’il revient sur place, une boucle d’oreilles que la police n’a pas vue et qu’il va vouloir rendre à la sœur de Grace, Laetitia, qui, en d’autres temps, a aimé Momo et l’accuse d’avoir conduit Grace au suicide.
Un petit aparté sur ce Dumont qu’Armel Job décrit non sans humour. Maggy, sa femme, l’aime, mais ne se fait aucune illusion sur sa valeur : « S’il fallait l’en croire, ils (les professeurs) se répartissaient en trois catégories : primo quelques ténors, ferrés à glace dans leur domaine, qui en général ne la ramenaient pas trop, deuzio un quota stable de tonneaux vides particulièrement sonores, et tertio le gros de la troupe constitué de tâcherons laborieux au nombre desquels elle plaçait son mari. »
Sans le savoir, Dumont va être de ceux qui ouvrent la boîte de Pandore. On découvre que Momo est devenu le propriétaire de la maison de ses rêves en vivant, avant Grace, avec une femme qui… elle aussi… s’est jetée de la balustrade. Un gendarme (excellente et drôle description des gendarmes) découvre que l’alibi de Momo n’est peut-être pas aussi solide qu’il y paraît. Et puis, il y a la mère de Momo qui n’a cessé de vouloir le séparer de Grace, femme frustre et laide qu’elle n’a cessé de dévaloriser devant son fils sur lequel elle a une grande influence.
Peu à peu, la vie assez banale de Momo prend des allures de mystères. A-t-il tué sa femme? Cela se pourrait bien… Mais le propos d’Armel Job est peut-être ailleurs. Qui est ce Momo? D’où vient-il? Il y a des choses étranges qui apparaissent…
Futurs lecteurs de ce beau roman, vous n’en saurez pas plus. Aller le lire. Devant vous, une plage de temps délicieuse vous attend. Il serait bête de passer à côté. Rejoignez ceux qui, depuis des années, aiment les œuvres d’Armel Job!
Comme l’écrivait Xavier Houssin dans Le Monde, « D’un roman au suivant, Armel Job confronte ses personnages aux faits divers et à la grande histoire, au passé qui ne passe pas, au présent toujours âpre. Mais il ne les abandonne pas à leur sort, il les accompagne dans leur quête de simple existence. Il fait attention à eux. Écrivain compassionnel ? Il sourit. « Quand j’écris, j’essaie d’éviter d’être injuste. Et toi, es-tu tellement parfait ? Je cherche l’explication. »
Mars 2024. Hervé Bel.
Paru le 15/02/2024
272 pages
Robert Laffont
19,00 €
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