Charles-Louis Philippe (1874-1909) a publié peu de romans, quatre ou cinq, mort trop jeune, lui aussi comme tant d'autres ensablés. Mais un titre a surnagé : "Bubu de Montparnasse", un titre qui fait sourire... Prostitution et syphilis, au début du XXe.
Le 03/09/2017 à 09:00 par Les ensablés
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03/09/2017 à 09:00
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Par Hervé Bel
Bubu, on imagine un type un peu bedonnant, à casquette, à la faconde parisienne. Brave type qui traîne dans les bistrots, chante, aime la vie; quelqu'un "qui ne s'en fait pas". Si l'on a vu le film "Circonstances atténuantes" avec Michel Simon et Arletty, on songe à la chanson "Comme de bien entendu" . Écoutez-la. Comment ne pas sourire, et même rire? Il la trouva mauvaise Comme de bien entendu ! Mais elle ramenait du pèze, Comme de bien entendu ! Au lieu de ramener sa fraise, Comme de bien entendu ! Il se contenta de lui foutre son pied au cul, Comme de bien entendu !Et, depuis, l'on raconte Comme de bien entendu ! Qu'il y trouve son compte, Comme de bien entendu ! Et, quand chez lui, on monte, Comme de bien entendu ! Il s'en va faire un petit tour au P.M.U. Comme de bien entendu !
La musique est enlevée, drôle. La jeune fille si jolie trouve son compte dans la prostitution, et tout est dans le meilleur des mondes. On est dans la légende de la putain heureuse. Elle reçoit des torgnoles, mais le maquereau n'est pas si méchant, il a de bons mouvements. Et puis la putain aime faire l'amour avec les hommes, elle les traite un peu comme ses enfants.
Et il y a la face noire, celle chantée par Piaf, Frehel, parfois misérabiliste, pourtant la réalité de ce début du XXème siècle: les petites ouvrières tentées par une vie facile, lorgnées à la sortie par de sombres individus, et qui, peu à peu, se vendent pour eux. Dans le roman de Philippe, un des fondateurs de la NRF, les deux aspects de la prostitution sont abordés. D'abord la face acceptable, puis, au fil du texte, l'horreur gagne, pour finir dans la tragédie, la petite tragédie d'une jeune fille qui s'en va à l'abattoir.
Léon Bloy qui s'y connaissait en misère, recevant l'ouvrage, écrit le 7 mars 1902. Lu un horrible roman prêté par Randon et que j’ai voulu connaître parce qu’il passe pour un chef-d’œuvre : Bubu de Montparnasse, auteur, Charles-Louis Philippe. Talent tout à fait supérieur, jusqu’à donner la sensation du génie, mais quelle ignorance de Dieu et quelle sentimentalité monstrueuse pour le remplacer. La lecture de ce livre m’a pénétré d’horreur.
"Bubu" commence une nuit, boulevard Sébastopol: C'est l'heure où les passants ne regarderont plus les devantures. La vie nocturne commence, avec d'autres buts. Les voitures ont des lanternes : les fiacres avec des lumières brillantes comme deux yeux de plaisir et les tramways avec un fanal rouge ou vert et avec des mugissements comme une foule pressée (...) Le boulevard Sébastopol vit tout entier sur le trottoir. Sur le large trottoir, dans l'air bleu d'une nuit d'été, au lendemain du quatorze juillet, Paris passe et traîne un reste de fête (...) La vanité, la gaieté, la luxure marchaient dans les lumières.
La luxure: voilà les prostituées qui entrent en scène : Gabrielle qui vécut deux ans avec Robert, l'assassin de Constance; Jeanne qui doit avoir dix sept ans. Et puis les agents des mœurs "facile à reconnaître à cause de leur regard, de leur mise malpropre comme leur métier".
Et puis Pierre Hardy, jeune de vingt ans. Un pur, lui, employé sérieux venu de sa province qui se promène, songeant à sa vie de province, timide, un homme cultivé, rêveur. Un homme qui marche porte toutes les choses de sa vie et les remue dans sa tête. Un spectacle les éveille, un autre les excite. Notre chair a gardé tous nos souvenirs, nous les mêlons à nos désirs. Nous parcourons le temps présent avec notre bagage, nous allons et nous sommes complets à tous les instants. Mené par le hasard, il est soudain attiré par une musique populaire. Il s'approche, et c'est là qu'il va rencontrer Berthe, la pute de Bubu, jolie jeune fille, point trop abimée encore.
Permettez moi, chers lecteurs, de vous citer encore cet extrait que je trouve si beau, que je ne lis pas sans une grande émotion. Il précède l'entrée en scène de Berthe. Au coin de la rue Greneta, il y eut un rassemblement autour de quatre chanteurs. Il n'était pas encore dix heures et, à un dernier coin de rue, ils chantaient peut-être leur dernière chanson. Le père raclait un violon de bois rouge dont la voix neuve et grimaçante faisait du bruit, et regardait le cercle des badauds avec des yeux aigus où l'on voyait passer des étincelles et du sang. La mère, au ventre grossi par les couches, aux seins bouffis de bête usée, avait dans sa face en débris deux yeux bleus comme deux fleurs sales. Elle chantait avec une voix pointue de femme criarde. Et les deux petits enfants, qui, tout le soir, avaient chanté, tremblaient sur leurs jambes. L'un d'eux tournait les yeux comme une bête mauvaise, il ressemblait à son père, il était si las qu'il aurait voulu mordre. Mais le plus petit, jaune avec ses yeux bleus, aurait voulu, comme la mère, tomber sur le dos et dormir. Paris les avait pris dans sa main qui broie et tous quatre, les bons et les méchants, les avait broyés.
Tel est le style de Philippe, des mots simples, qui le raccroche au naturalisme, mais pas seulement. Une idée morale est sous-jacente dans le roman: les bons et les méchants sont tout autant responsables de la misère. Si celle-ci existe, c'est de notre faute.
Et même Bubu alias Maurice Belu, l'affreux maquereau n'est pas si mauvais. Surtout au début du roman. Il se frappait la poitrine en disant: "Petit, mais costaud." Sorti de l'école avec son brevet, il devient apprenti chez un ébéniste, et fréquente la rue où il apprend à manier les femmes. Ce qui devait arriver arriva un jour où Bubu (...) fit la connaissance d'une grosse fille de la rue de la Gaîté." Il quitte l'apprentissage, quitte la grosse fille, en cherche une autre et, par malheur rencontre une petite fleuriste, Berthe Méténier, à un bal de la Rue de Vanves. Il est prudent, la revoit, bien élevé, lui offre une bague. Une fois, elle manque un rendez-vous. Il le lui reproche. Elle baisse la tête: "La petite alouette était déjà prise".
Elle épousera Bubu. Le père, averti, n'a pas confiance, il prévient sa fille. Et voilà ce que dit Philippe: Il savait que nous sommes des manœuvres et des chiens et que nous n'avons pour nous que la misère, dans un monde où la misère est maudite. Après le malheur vient encore le malheur et il n'y a qu'à baisser la tête en grondant. Il pensa: "Après tout, ceci la regarde. Je l'ai prévenue. Si c'est sa destinée, je n'y peux rien".
Le roman, c'est la déchéance de la jeune femme, inéluctable, que l'on devine dès les premières pages. Elle est atteinte par la syphilis, contamine Bubu, mais aussi Hardy, le jeune homme pur qui veut la sauver. Bubu accepte la maladie, la croyant inoffensive. Hardy, lui, la sait mortelle, mais il l'accepte aussi, par une espèce d'amour presque spirituel, et qui m'a fait songer, justement, à Léon Bloy qui se maria avec une fille publique pour la sauver.
La ressemblance s'arrête là, car en cette vie, la plupart du temps, il n'est nulle rémission à attendre. Hardy est un faible, écrasé par l'existence. Il n'aura pas le courage de se lever contre Bubu, devenu monstrueux après avoir passé quelques mois en prison: Elle partait dans un monde où la bienfaisance individuelle est sans force parce qu'il y a l'amour et l'argent, parce que ceux qui font le mal sont implacables et parce que les filles publiques en sont marquées dès l'origine comme des bêtes passives que l'on mène au pré communal.
C'est beau et tragique. On s'arrête un moment, le cœur étreint par une vaine pitié.
Hervé BEL
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Ry Cooder a été élu en 2014 8e meilleur guitariste de tous les temps par le magazine Rolling Stone. L'album Buena Vista Social Club, il en est à l’origine. La musique de Paris Texas de Wim Wenders, ou plus récemment de My Blueberry Nights de Wong Kar-wai, c’est encore lui. Une légende vivante de l’art d’Eliades Ochoa et Company Segundo, mais quel rapport avec celui d’Albert Camus ? Un recueil de nouvelles réjouissant, Los Angeles Nostalgie (trad. Ariane Bataille), retrouvé par la maison des échos de l’Antiquité, Les Belles Lettres.
02/06/2024, 11:00
BONNES FEUILLES - "'Il a disparu sans pourquoi ni comment. Il a disparu gracieusement, même pas pour un fifrelin !... Juste non, ce n'est pas possible, ajouta-t-il après réflexion. C'est invraisemblable qu'un nez disparaisse, n'importe comment c'est invraisemblable.
01/06/2024, 07:30
BONNES FEUILLES - “Je ne sais pas plus que vous ce que vous allez lire car ce n'est point un roman ni un drame avec un plan fixe, ou une seule idée préméditée, avec des jalons pour faire serpenter la pensée dans des allées tirées au cordeau.”
01/06/2024, 07:00
BONNES FEUILLES – Lori s'aventure en Angleterre, sur les traces de sa défunte Tante Dimity. Elle tentera tant bien que mal de réunir les écrits de sa tante, perturbée par une série de mystères à la résonnance mystique. La Mort de Tante Dimity est le premier tome d'une cosy mystery de Nancy Atherton, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nicolas Ancion et Axelle Demoulin pour Verso.
31/05/2024, 18:22
Cette 21e semaine (du 20 au 26 mai) de l'année est marquée par le retour de Mortelle Adèle pour un 21e tome. L'héroïne de Mr Tan et Diane le Feyer arrive directement en première place avec 23.063 exemplaires vendus. Derrière elle, Virginie Grimaldi confirme sa bonne forme en occupant les 2e et 3e place avec Plus grand que le ciel (20.554 ventes) et Une belle vie (19.472 ventes).
31/05/2024, 15:57
De nombreux récits de voyage nous emmènent sillonner le monde à l’aide d’une voiture, que ce soit en autostop ou alors directement, en transformant une voiture du quotidien en instrument permettant de faire le tour de la planète.
31/05/2024, 13:11
BONNES FEUILLES - « Il n’y a aucune barrière entre mon corps et l’argent que je tire de son exploitation. On rémunère mon inutilité, n’est-ce pas le meilleur pied de nez que l’on puisse faire à ce système dégénéré ? »
31/05/2024, 10:21
Roman singulier construit en microchapitres très incisifs, Magma est le cri du cœur d’une femme qui ne demande qu’à être aimée et entendue. Empêtrée dans une relation toxique, elle se coupe peu à peu du monde, sous les yeux impuissants du lecteur. Écrit par la poétesse islandaise Thóra Hjörleifsdóttir, l’ouvrage est publié cette année aux éditions Agulla, dans une traduction de Jean-Christophe Salaün.
30/05/2024, 10:25
Après avoir réenchanté les enquêtes policières avec son Commissaire Toumi, donné un coup de jeune aux dialogues pédants façon Bouvard et Péuchet dans les deux tomes des Experts (dont plusieurs case sont devenues des mêmes sur les réseaux sociaux), voici qu'Anouk Ricard s'en prend au western tout public, tendance Lucky Luke. Elle maltraite cet univers hyper codé avec une malice contagieuse et sa fausse candeur fait des merveilles.
30/05/2024, 08:40
Alors que se préparent en grande pompe les jeux olympiques de Paris 2024, il est peut-être temps de porter un regard informé sur ce que furent véritablement les jeux dans l’Antiquité, loin d’une reconstruction imaginaire, au plus près de la réalité historique.
28/05/2024, 16:46
Deux garçons et un dragon sans ailes parcourent une immense forêt enneigée, tentant de fuir les inquiétants monstres qui s’y tapissent. Ce sont les deux princes du royaume des neiges. Ils ont fugué du château où ils ont été enfermés toute leur enfance, à la recherche de la princesse du royaume du feu. Une aventure émouvante dans des décors magnifiques.
28/05/2024, 09:41
Paru en 2002, Le Livre des illusions (Actes Sud) est un livre apocalyptique. Sombre et violent, il est hanté par l’absence. L’autodafé final ranime les heures les plus noires de l’histoire de l’humanité. Né du néant, tout retournerait pour finir au néant, cendre ou poussière. L’énigme du berceau et celle de la tombe convergeraient vers cette idée irrémédiable.
27/05/2024, 12:45
Signée par le scénariste Ram V et le dessinateur Sumit Kumar, These Savage Shores plonge le lecteur dans le sud-ouest de l'Inde des années 1760, durant les guerres anglo-mysoriennes – époque où la Couronne britannique et la Compagnie des Indes orientales exercent leur influence sert de toile de fond à une exploration profonde des horreurs du colonialisme, métaphoriquement représentées par des vampires.
27/05/2024, 12:41
Une écriture sobre, efficacement dépassionnée, au-dessus de tout nationalisme effusif, imprégnée de la géographie algéroise, centrée autour des banlieues, des gares et des rails, mais surtout attentive aux petites choses du quotidien, la vie ordinaire, les existences simples. Tel est l’art du récit cultivé par Salah Badis, la clarté du style sur fond de tremblements de terre. Ecrire, c’est voir Alger autrement, dans sa nudité tragique.
26/05/2024, 19:40
BONNES FEUILLES - « Oh ! reprit le secrétaire, l'œuvre a une vogue inouïe. Tout le monde chic de l'univers entier en fait partie pour avoir l'air de mépriser la mort. Puis, une fois qu'ils sont ici, ils se croient obligés d'être gais afin de ne pas paraître effrayés. Alors, on plaisante, on rit, on blague, on a de l'esprit et on apprend à en avoir.
26/05/2024, 08:30
BONNES FEUILLES - De septembre 1961 à 1962, dans la province sécessionniste du Katanga, située dans l’ex-Congo belge, une guerre oubliée mais sanglante s'est déroulée. Riche en cuivre et en uranium, le Katanga était gouverné par un régime minier pro-occidental qui a défié les Nations Unies et leurs casques bleus.
25/05/2024, 08:30
Liu Cixin revient sur le devant de la scène littéraire avec La mort immortelle (traduit du chinois par Gwennaël Gaffric), le dernier volet de l’un des cycles de science-fiction chinoise les plus populaires de ce siècle. Les éditions Actes Sud proposeront une édition collector, à retrouver en librairie le 5 juin prochain.
25/05/2024, 07:30
Semaine chargée dans domaine de l’édition. Pas moins de 42 sorties se sont hissées parmi les 200 meilleures ventes de la semaine 20 (13 au 19 mai 2024). Mais, sans surprise, Virginie Grimaldi attire toujours le regard avec sa première place : elle demeure indétrônable avec 17 .154 ventes enregistrées...
24/05/2024, 16:10
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La France est-elle vraiment en déclin ? Les Français sont-ils aussi désabusés que certains le prétendent ? Le politologue Eddy Fougier propose dans Ne désespérons pas de la France et des Français, un essai sous forme de plaidoyer en faveur d’un changement de regard sur la France et ses habitants.
24/05/2024, 07:30
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BONNES FEUILLES - Après La Putain du Diable, qui a connu un succès critique inattendu, et Les Chutes, un recueil oscillant entre désespoir moqueur et exigence impérieuse d’exister, Melchior explore dans sa poésie les désillusions amoureuses avec une touche à la fois personnelle et universelle.
23/05/2024, 19:22
Le futur. Quand exactement ? Impossible à déterminer. Notre narratrice, Saki Watanabe, indique être née le 10 décembre 210, à Kamisu 66. « Juste avant ma naissance, les bambous, connus pour ne fleurir qu’une fois par siècle, avaient tous éclos en même temps. Cela faisait suite à une série d’épisodes climatiques anormaux, dont une sécheresse de trois mois et des chutes de neige en plein été. » Une chose est certaine : le monde a bien changé. Et ses règles aussi.
23/05/2024, 15:39
1 Commentaire
CECILIA
20/09/2020 à 12:25
Merci, c'est la chanson "Écoutez la chanson bien douce" qui a attisé ma curiosité et m'a ramenée jusqu'à vous...ce commentaire est très intéressant et émouvant aussi